La théorie relative de la monnaie de Stéphane Laborde s’inscrit dans la grande tradition française de travaux de sciences économiques produit par des ingénieurs tels ceux de Dupuit, Cournot... jusqu’à notre seul prix Nobel de la discipline : Maurice Allais.
Mais, toute science se construit un langage particulier et je crains que les économistes, comme l’honnête Homme du siècle, ne saisissent pas vraiment tout l’intérêt de cet apport théorique sans une « traduction ».
Le « Système à Dividende Universel » que propose l’auteur est un système monétaire dans lequel la monnaie est uniformément distribuée entre tous les acteurs, individus de tout âge et de tout sexe, chacun d’eux en en recevant une part égale.
Nous avons presque tous déjà pratiqué un tel système… en jouant au Monopoly. En effet chaque joueur reçoit au départ la même quantité de monnaie, et à chaque tour par passage à la case départ de la monnaie supplémentaire est ajoutée, chacun percevant une même somme. Un tour est la période de base théoriquement identique pour tous, sauf que selon les aléas du jeu, les jets de dés... le tour est fait plus ou moins vite et que les ajouts de monnaie s’en différencient selon les joueurs. Notez que l’égalité des dotations monétaires n’empêche pas l’apparition de gagnants et de perdants selon les choix individuels et les opportunités du hasard.
Actuellement, dans notre réalité, la répartition de la masse monétaire ne correspond pas à un tel système. Elle est créée et distribuée sous forme de dette par l’intermédiaire du système bancaire qui répond à la demande de monnaie des particuliers en leur prêtant bien plus de monnaie qu’elles ne détiennent elles-mêmes contre un intérêt supérieur à celui qu’elles-mêmes doivent supporter en s’approvisionnant auprès de la Banque Centrale, émettrice en premier et dernier ressort. Le pays dispose ainsi d’une masse monétaire dite M3.
Il faut bien distinguer la masse monétaire, stock de monnaie disponible, comme éternellement présent, fixe sauf création monétaire supplémentaire, des flux de revenus en monnaie que captent les individus dans l’activité économiques et les échanges : la masse monétaire engendre des flux de revenus dont la somme sur l’année est traditionnellement évaluée comme le PIB. Ce lien qui paraît trivial est en vérité très subtil comme nous le verrons plus loin.
Dès lors l’auteur cherche à répondre à la question suivante : quelle règle de création monétaire doit-on adopter, et à quelle rythme faut-il accroître la masse monétaire, de façon à instituer un système à Dividende Universel, tel que sa densité, c'est-à-dire sa répartition selon les individus, soit uniforme dans l’espace et dans le temps ?
Il suppose une population stable en nombre avec une espérance de vie donnée. C'est-à-dire qu’il admet un solde démographique naturel nul : il y a autant de naissances que de décès et pas de migrations. L’espérance de vie correspond alors à la durée au bout de laquelle il n’y a plus aucun ancien vivant. La population est totalement renouvelée depuis la mise en place de la nouvelle règle ; la densité est maintenant pour tous uniforme qu’elle que soit celle qui prévalait à l’origine. Le Système à Dividende Universel, celui rappelons-le où chacun reçoit une part égale de la masse monétaire est complètement réalisé.
La réponse est ce que l’auteur appelle le « Dividende Universel Optimal » : la masse monétaire doit annuellement croître d’un facteur « c », évidemment inversement proportionnel à l’espérance de vie- c'est-à-dire à la durée de renouvellement de la population ou à celle de la mise en place complète du système - et ce surplus de monnaie doit être également et inconditionnellement distribué entre tous les membres de la population. Ce facteur c est égal à 5 % environ pour une espérance de vie de 80 ans.
Comment en déduire la somme inconditionnelle à attribuer non pas en masse monétaire mais en flux de revenu mensuel, un « revenu d’existence », ici tout à fait conforme à sa définition : revenu attribué parce qu’on existe, membre de la communauté et non pour exister ?
Si on calcule, comme le fait l’auteur, pour l’Europe, 5 % de la masse M3 d’euros divisé par les 330 millions d’européens on obtient 1 515 euros par personne. Qu’est-ce que cela signifie ? Il faut créer 5 % de monnaie supplémentaire cette année et la distribuer au 1er janvier prochain en donnant 1 515 € à chaque européen et ne plus créer de monnaie pendant toute l’année 2011.
Recommencer au 1er janvier 2012, 5 % en plus... et ainsi de suite de telle sorte que dans 80 ans chacun détiendra une part égale de M3 de l’époque. Cette méthode ne sera applicable que : s’il existe un seul émetteur de monnaie, la BCE par exemple, créant les euros supplémentaires soit en billets, soit en créditant tous les comptes des particuliers et qu’elle impose le 100 % monnaie, comme le souhaitait Maurice Allais, les banques ne pouvant prêter plus qu’elles n’ont en dépôts.
Une telle mise en place correspondrait à un bigbang institutionnel. Une attribution mensuelle de revenu, un revenu d’existence, semble une instauration moins traumatisante pour nos institutions.
Comment passer de la masse monétaire au revenu ?
Si on divise simplement les 1 515 € par 12 mois, c’est qu’on suppose implicitement que la masse monétaire met exactement une année pour engendrer un flux total de revenus égal à elle-même. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai défini « l’Unité de Temps Economique » seule norme sur laquelle le passage de la masse aux flux peut partout s’exprimer sans distorsion. En effet selon les pays ou les époques et les circonstances, expansion, récession, une même masse de monnaie circule plus ou moins vite, portant des échanges plus ou moins fréquents, assortis de valeurs en monnaie plus ou moins élevés. En une année civile la somme des flux peut alors valoir trois fois la masse. L’unité de temps économique ne correspond pas à l’unité de temps réel. Avec un PIB qui serait égal à 3M3, l’unité de temps économique équivaut à un trimestre et à un semestre si le PIB égal 2M3.
En réalité le PIB est compris entre 2 et 3 M3. Donc les 1 515 € devraient être divisés entre 4 et 6 mois pour nous donner le revenu mensuel. On obtiendrait pour l’Europe approximativement 300 € par mois et par personne de dividende universel ou plutôt de revenu d’existence pour rester en conformité avec le langage économique : un dividende est donné en une fois, en principe, tiré d’un stock, ici la masse monétaire, un revenu est un flux régulier issu des échanges en monnaie.
Il est remarquable que la théorie de Stéphane Laborde rejoigne celle de la valeur-temps jusque dans la mesure puisque son dividende universel pour l’Europe se rapproche par le bas du revenu d’existence issu de la valeur-temps qui donne aujourd’hui 350€ environs pour la France.
Ces deux théories, théorie relative de la monnaie et valeur-temps convergent pour bâtir les fondations d’un nouveau paradigme, d’une nouvelle vision de l’économie. Sur elles pourrait s’élever l’architecture d’une nouvelle organisation sociale plus respectueuse de l’égalité qu’il nous faut imaginer. J’ai personnellement tenté d’en proposer une, tirant les conséquences envisageables de l’instauration du revenu d’existence ou du système à dividende universel, pour suivre l’auteur, en publiant « Une Clémente Economie ». Mais cet essai n’est ni exclusif, ni définitif. La « Théorie Relative de la Monnaie » offerte à la libre communauté des internautes est une invitation qui lui est adressée, dans un partage total d’idées créatives, pour imaginer, puis concrétiser un autre monde.