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Introduction à la sociolinguistique

Calvet, Louis Jean. La sociolinguistique. Presses Universitaires de France, 2013

« L’un des reproches que l’on peut faire aux définitions de la langue qui la ramènent à un instrument de communication” est qu’elles risquent de laisser croire à un rapport neutre entre le locuteur et sa langue. Un instrument, en effet, est un outil que l’on prend lorsqu’on en a besoin, que l’on remet ensuite. Or, les rapports que nous avons à nos langues et à celles des autres ne sont pas tout à fait de ce type : nous ne sortons pas l’instrument-langue de son étui lorsque nous avons besoin de communiquer pour l’y ranger ensuite, comme nous prenons un marteau lorsque nous avons besoin de planter un clou. Il existe en effet tout un ensemble d’attitudes, de sentiments des locuteurs face aux langues, aux variétés de langues et à ceux qui les utilisent, qui rendent superficielle l’analyse de la langue comme un simple instrument. […] L’Histoire est remplie de proverbes ou de formules toutes faites qui expriment les préjugés du temps sur les langues. […] Ces stéréotypes ne concernent pas seulement les différentes langues mais également les variantes géographiques des langues, souvent classées par le sens commun le long d’une échelle de valeurs. Ainsi, la division des formes linguistiques en langues, dialectes et patois est-elle considérée, de façon péjorative, comme isomorphe de divisions sociales elles-mêmes fondées sur une vision péjorative […]. D’autres stéréotypes concernent le « beau parler ». […] Et derrière ces stéréotypes se profile la notion de bon usage, l’idée qu’il y a des façons de bien parler la langue et d’autres qui, par comparaison, sont à condamner. On trouve ainsi chez tous les locuteurs une sorte de norme spontanée qui les fait décider que telle forme est à proscrire, telle autre à admirer : on ne dit pas comme cela, on dit comme cela, etc. Si les usages varient, géographiquement, socialement et historiquement, la norme spontanée varie de la même façon : on n’a pas les mêmes attitudes linguistiques dans la bourgeoisie et dans la classe ouvrière, à Londres ou en Écosse, aujourd’hui et il y a un siècle. Ce qui intéresse ici la sociolinguistique, c’est le comportement social que cette norme peut entraîner. […] Dans un cas on valorise sa pratique linguistique ou on tentera au contraire de la modifier pour se conformer à un modèle prestigieux, dans l’autre cas on jugera les gens sur leur façon de parler. […] Pierre Bourdieu […] part de la constatation que la linguistique post saussurienne s’est construite sur le refoulement du caractère social de la langue […] Son idée est que la linguistique a tendance à incorporer à la théorie un objet préconstruit, la langue, dont elle oublie l’histoire sociale qui la façonne. […] « L’échange linguistique est aussi un échange […] qui s’établit dans un certain rapport de forces symbolique […]. » Ce qui signifie pour lui qu’au-delà de la simple communication de sens, les discours sont des signes de richesse et des signes d’autorité, ils sont émis pour être évalués et obéis, et que la structure sociale est présente dans le discours. »